C’est en septembre 2009 que la vie nous a fait cadeau d’une magnifique aventure et sans aucun doute de la plus belle histoire d’amour, de partage et de respect qu’il nous aura été donné de vivre en famille…

Étrange sans doute de débuter de cette manière un témoignage sur l’accompagnement d’un enfant qui va mourir… et pourtant…

Notre vie ressemblait jusqu’alors à celle d’un peu tout le monde : en couple depuis 2000, mariés en 2002, 2 adorables loulous nés en 2002 et 2004, nous coulions des jours heureux…notre vie nous comblait et l’idée d’un petit troisième faisait son chemin…Quelques mois de tentatives en 2007…mais je ne me sentais pas prête, envie d’investir d’autres projets dans mon travail, de profiter encore des deux « grands »…Bruno m’a laissé le temps…Février 2009, les envies de pouponner sont revenues en force…et le 17 juillet, j’annonçais gaiement au papa, l’arrivée prochaine du numéro 3!!

Quelques soucis de kystes ovariens ont nécessité une échographie précoce et le 13 août, veille de notre départ en vacances, nous découvrons deux petits bébés nichés dans mon ventre !!

Papa émerveillé et Maman paniquée, nous avons fini par nous faire à cette nouvelle en délirant sur les kilos de couches et des journées de 72heures !!

Notre rendez-vous pour l’écho du premier trimestre sonnera l’entrée dans une aventure inimaginable, souvent douloureuse mais tellement pleine d’amour et de tendresse…L’échographiste détecte une méga vessie et des membres inférieurs soudés chez l’un des bébés…nous ne comprenons pas trop… « Sirénomélie »…jamais entendu parlé…Une rencontre avec ma gynécologue et quelques recherches sur internet plus tard, nous découvrons la réalité de cette malformation : 1 cas sur 100 000, 3 enfants vivants dans le monde après d’innombrables opérations et toujours en sursis…notre monde vient de s’écrouler et nous avec.

La veille de mes 34 ans, nous avons RDV dans un centre de diagnostic anténatal : le diagnostic est confirmé…nous attendons de vrais jumeaux et l’un deux à une malformation létale…

Deux « solutions » possibles…

Une interruption sélective de grossesse à 18 SA qui consiste à coaguler le cordon du bébé atteint pour arrêter son cœur avec 20 % de risque de perdre les deux bébés et l’impensable perspective de poursuivre la grossesse avec un bébé bien vivant et son jumeau mort à ses côtés…

Ou poursuivre la grossesse puisque le bébé ne souffre pas in utéro et les risques de décès in utéro sont très faibles mais avec le risque de syndrome transfuseur-transfusé présent dans 20% des grossesses monochoriales…

Nous sommes assommés…on ne comprend pas comment la vie peut basculer aussi vite…et puis faire un choix…ce n’est pas un choix qu’on nous propose, c’est un déchirement! L’obstétricien nous propose aussitôt une rencontre avec la pédopsychiatre du service et nous demande de prendre notre temps…de le rappeler au besoin…Nous ressortons du RDV avec la psy toujours perdus mais avec une adresse internet qui ne nous parle pas…SPAMA…soins palliatifs…maternité…des mots qui me paraissaient tellement étrangers l’un à l’autre !!

On découvre alors à travers les témoignages les histoires de ces parents, de ces familles qui ont poursuivi des grossesses alors même que le bébé à venir ne vivrait pas…Inimaginable !!

Comment ces mères et ces pères trouvaient-ils la force d’accompagner leur enfant vers sa mort? Comment vivaient-ils avec cette grossesse dont l’issue était la mort du bébé que l’on porte? Tout cela nous semblait irréel, ces gens étaient surhumains…nous n’aurions jamais cette force… Et puis il y avait les deux « grands » ? Comment leur expliquer que l’un des deux bébés présents dans mon ventre ne vivra pas ? Comment les accompagner, les protéger ? J’ai relu souvent ces témoignages qui disaient la tristesse mais surtout le bonheur d’avoir porté ces bébés, la sérénité de leur naissance…Et puis j’attendais des jumeaux…comment arrêter moi-même la vie de l’un deux alors qu’il ne souffre pas? Comment laisser l’un deux vivre tous ces mois aux côtés de son jumeau décédé? Comment à la fois porter la vie et la mort?

Et puis sans que je ne comprenne vraiment comment, ni pourquoi…la réalité s’est imposée…limpide… je voulais porter mes deux bébés jusqu’au bout, les laisser grandir ensemble et partager ce lien si mystérieux, donner toutes ses chances au bébé bien portant et laisser son frère vivre la vie qu’il aurait à vivre puisque nous savions qu’il ne souffrait pas in utéro et qu’un accompagnement en soins palliatifs était possible à la naissance pour le laisser s’en aller sans souffrance…

Mon mari et moi avions décidé de cheminer chacun de notre côté dans un premier temps, puis de nous décider ensemble…Sans rien se dire, Bruno a néanmoins senti mon cœur basculer du côté de la vie et de la poursuite de cette grossesse…Nous n’étions sûr de rien, juste que nous pouvions tout surmonter ensemble…Puis vint l’annonce de notre décision à la famille, aux amis proches puis à nos aînés…Certains ont accepté notre choix sans nous juger, et sont restés présents durant ces longs mois, toujours à nos côtés…Pour d’autres notre choix était impensable…car penser la mort d’un enfant avec même qu’il ne soit né est impensable, l’accompagner sur ce chemin semble parfois irraisonné… nous allions être traumatisés et traumatisé nos autres enfants… interrompre sa vie était sensé nous épargner de la souffrance…

Nous avons alors commencé notre nouveau chemin : pour nous dans l’intimité, avec nos quatre enfants…il y a eu des moments de tristesse mais aussi et surtout beaucoup de moments de tendresse et de complicité partagée autour de ce ventre qui abritait nos deux fils, de fous rires des deux grands quand les « petits » ont commencé à gigoter…Jamais je n’aurais imaginé passer de si doux moments durant cette grossesse, être si fière de mon gros ventre et de mes deux loulous bien au chaud à partager je ne sais quelle partie de gymnastique…

Au dehors, ce fût parfois un véritable combat…un travail de longue haleine pour faire comprendre à notre entourage le sens de notre décision : celle d’accompagner nos deux enfants, même si l’un d’entre eux était déjà condamné…comme nous l’aurions fait pour n’importe lequel de ses frères s’il venait à être malade…Mais donner sa place à un tout-petit avant sa naissance n’est pas simple…nous avons chaque jour et envers et contre tout revendiqué une place pour Baptiste…notre fils, même s’il ne devait vivre que quelques heures, il faisait partie intégrante de notre vie, de notre histoire. Et puis la spécificité de cette grossesse gémellaire résidait bien dans le fait qu’ils étaient deux, à jamais liés dans leur histoire, dans leurs gènes. Nier l’existence de Baptiste, c’était nier l’histoire et l’identité de Quentin : certes il grandirait sans la présence physique de son jumeau, mais au plus profond de lui, restera toujours l’empreinte de cette vie in utéro partagée, des battements du cœur de l’autre, du contact de son corps…En se battant pour donner une place à Baptiste, nous nous battions aussi pour que Quentin puisse prendre la sienne…

L’un et l’Autre, l’Un sans l’Autre…

La naissance des loulous restera sans aucun doute l’expérience la plus intense de toute notre vie : une naissance baignée d’abord par la joie de voir naître et d’entendre crier nos deux fils à la vie… puis ces quelques heures de pure grâce que nous avons vécu avec Bruno autour de notre fils qu’il nous fallait maintenant accompagner le plus tendrement possible vers sa nouvelle vie de petit ange…Nous avons eu cette grande chance : celle de rencontrer notre enfant vivant, de croiser son regard, sentir son petit corps tout chaud de vie, de tenir sa main dans la nôtre, le câliner, le bercer, le rassurer et puis finalement lui chuchoter les mots qui lui laissaient le droit de partir sereinement vers une vie sans souffrance.

Notre combat pour Baptiste a continué jusqu’à son « enciellement » un 25 février 2010… Devant son petit cercueil, une photo de lui rappelait à tous ceux qui ne l’avait pas encore compris, que nous disions adieu à notre enfant, et non à une malformation ou à un traumatisme…Et puis, Bruno avec tout l’amour d’un père, a lu la voix pleine d’émotions, le long mot d’au revoir que nous avions écrit à Baptiste et où nous avons tenté de transmettre l’intimité de notre histoire avec Baptiste, son frère Quentin et nos deux aînés :

« A notre fils Baptiste,

Quelques petits mots, rien que pour toi,

Pour te dire toutes ces choses, Que l’on a pas eu le temps de te murmurer,

Parce que ton destin aura été celui d’une petite étoile filante,

Juste passée dans nos vies, pour y laisser une immense trace d’ amour.

Te dire que malgré tout, malgré les diagnostics sans appel…

Le bonheur indicible, d’avoir trouvé au fond de nous,

Autant d’amour et de force, pour te porter au creux de nous,

T’y laisser grandir avec tes frères, partager ces doux moments de ta présence,

Et tenir ta main au creux de la notre jusqu’à ton dernier souffle…

On ne s’est jamais menti,

Nous savions qu’au jour de ta naissance sonnerait aussi pour toi le jour de ton départ.

Alors nous avons condensé tout notre amour dans ces quelques mois jusqu’à notre rencontre…

Nous avons redécouvert qu’être parents,c’est seulement accompagner le mieux possible son enfant sur le chemin qui est le sien…

Et t’accompagner ces quelques mois a pris autant de sens pour nous que le temps que nous aurons à cheminer auprès chacun de tes frères.

Tu vois, nous aurons plus que jamais appris à retrouver l’essentiel…

Ta petite vie avec ses battements si fragiles nous a redonné la saveur de chaque petite chose :

Celle d’un Noël partagé tous les six,

Celle des liens mystérieux noués avec Quentin dans le secret de mon ventre,

Des chansons entonnés par tes frères tout près de mon nombril,

Des mains de ton père dans lesquelles tu venais de blottir…

Tu es si petit…et pourtant tu nous a fait grandir…

Nous t’avons accompagné du mieux que l’on a pu sur ce chemin bien chahuté,

avec ce désir de te laisser prendre ta place toute particulière dans notre famille :

celle de fils, celle de frère, et celle que chacun a pu te faire dans un coin de son cœur.

Sans doute avons-nous parfois été maladroits…

Sans doute notre choix de te garder le temps de ta courte vie a pu sembler illusoire ou trop douloureux à certains…

Bien sûr que nous avons eu peur aussi d’embarquer Raphaël et Nathan sur ce bateau incertain,

de ne pas être sûr de savoir les accompagner et les protéger au mieux

dans ces rivages inconnus que la vie nous fait traverser…

Bien sûr qu’il nous faudra aider Quentin à faire à présent sa route sans toi…

Bien sûr qu’il y aura le chagrin et les larmes de ton absence…

Et pourtant…En ce jour où il nous faut nous séparer,

aucun autre nuage que celui de la tristesse de te dire au revoir, ne vient troubler notre ciel…

Aucun doute, aucune peur, aucune douleur n’ effacera nos souvenirs de bonheur à tes côtés :

Celui d’entendre ton premier cri, de croiser ton regard,

te serrer contre nous et de tenir ta petite main dans la nôtre jusqu’au bout de ta vie…

Il y aurait encore tant de choses à te dire Baptiste…

Des mots d’amour que nous garderons au fond de nous, en souvenir de toi…

Des souvenirs tendres que nous ferons revivre dans les moments de chagrin…

Et ton prénom que nous continuerons à prononcer sans tristesse, sans malaise,

Et la place que tu garderas toujours pour nous

au milieu des rires et des chamailleries de tes trois frères…

Et puis enfin te faire cette promesse à toi,

mais aussi et surtout à Raphaël, Nathan, et à Quentin :

Vous promettre qu’au-delà de ton absence, au delà du chagrin et de nos larmes,

Que l’Amour que l’on vous porte à tous les quatre

saura toujours nous faire apprécier chaque instant de cette vie

Celle qui continue, autrement, différente, juste teintée d’un peu de Toi…

Et en guise de derniers mots d’au revoir,

sache que les soirs de nuits claires,

Toutes les petites étoiles à la lueur de la lune,

Viendront tisser ce fil d’amour qui nous relie à toi

Notre doux petit Prince, pour l’éternité… »

C’est ce moment de grâce qui a permis aujourd’hui que notre combat s’arrête…non que nous ayons renoncé…mais Baptiste a désormais toute sa place à lui dans notre famille, dans notre entourage…Aujourd’hui, le chagrin est toujours présent, le manque de notre tout-petit aussi… Mais j’aimerai aussi vous dire la sérénité, la douceur et la fierté qui nous habitent : celle d’avoir aimer sans compter notre enfant le temps de sa courte vie et de l’aimer encore et toujours aujourd’hui, différemment. Il est présent dans notre vie, à la place qui est la sienne : celle de fils, de frère, de petit-fils, neveu, cousin…sa petite bouille est dans son joli cadre de naissance à côté de celle de ses trois frères, ses photos défilent en fond d’écran sur notre ordinateur au milieu de ses frères, du carnaval, des fêtes d’anniversaire…Quand Quentin reçoit un cadeau de naissance, il y a très souvent une carte, un dessin, un poème pour Baptiste… Notre aîné dort avec un doudou de son frère, le cadet lui a élu domicile sur l’étoile du berger et nous lui envoyons des bisous chaque fois que le ciel est clair…

Petit Baptiste a trouvé sa place et Quentin a pu prendre la sienne…avec une petite étoile qui brillera toujours à ses côtés, celle de son frère jumeau…Quant à nous, parents, nous vivons chaque jour avec nos quatre enfants et un amour immense qui se partage désormais entre ciel et terre.

Partager ce poème écrit pour Baptiste, c’est laisser une trace de cette magnifique histoire d’amour et de tolérance que nous avons vécu en famille, et peut-être de rendre un peu de ce que nous avons partagé ici : une autre manière de penser la vie et apprendre plus que jamais à aimer son enfant, sans rien attendre d’autre de lui, qu’il puisse vivre sa vie, quelle qu’elle soit… »

Virginie, Bruno, Raphaël, Nathan, Quentin & Baptiste…