Vingt minutes avec lui, peut-être dix-sept, c’est peu mais au moins je les garderai et puis c’est tellement long quand on n’a que ça.

Vingt minutes de bonheur et de larmes mélangés, d’admiration, d’amour, qui pour la 1ère fois depuis 30 ans est totalement désintéressé, complètement gratuit sans espoir de retour, sans attente des satisfactions (ou des désillusions) qui seront celles des autres parents.

Vingt minutes juste d’amour comme ça, pour « rien », « inutile » comme on me l’a si bien expliqué, simplement parce que je suis en face de ce petit garçon, qui s’est accroché pour arriver jusqu’à nous, ce petit garçon, le mien, mon fils, le premier, et que c’est le plus beau, c’est vrai.

Vingt minutes seulement pour qu’il me parle, me réchauffe, me console, me donne la force de continuer après et de soutenir sa maman.

Vingt minutes, les plus intenses, les plus profondes et pour l’instant les plus belles de ma vie.

Vingt minutes, pendant lesquelles il m’a convaincu que j’étais quelqu’un d’important, d’irremplaçable, parce que j’avais su l’attendre, l’espérer malgré mes doutes et mes souffrances, parce que lui, si fort, contre toute attente, avait tenu.

Vingt minutes tellement redoutées alors que j’aurais donné tout ce que j’ai, que j’aurais volé même, beaucoup, et n’importe qui, pour qu’elles durent vingt et une minutes.

Vingt minutes pour qu’il fasse mon éducation, mon propre fils, qu’il m’apprenne les choses importantes de la vie.

Vingt minutes, pour passer du concept à la réalité, mettre un visage sur ce prénom si souvent répété, murmuré, caressé.

Vingt minutes pour pouvoir continuer à lui parler après, pouvoir lui dire comme je l’aime et être sûr qu’il me croit, pouvoir l’expliquer à ses frères et sœurs qui viendront après et leur dire qu’eux aussi on les aimera jusqu’au bout.

Vingt minutes pour ne pas lui apprendre le rugby, l’histoire, le dessin, le vin et toutes ces choses que je ne connais pas encore. Vingt minutes pour pouvoir désirer attendre ses frères et sœurs.

A la vingt et unième, c’est au bout l’apaisante certitude que nous avons fait le bon choix : comme la vie avait choisi de nous le reprendre, lui si mignon, nous ne pouvions pas gagner, mais nous avons eu raison de lutter jusqu’au bout…

Et puis, une semaine de difficultés : les formalités administratives, l’organisation, les incompréhensions (auxquelles il faut faire face sans agressivité) de ceux qui m’expliquent encore après la naissance de mon enfant qu’il n’avait pas le droit à la vie, qu’il était anormal, plein de problèmes, que ça ne servait à rien, que cette histoire était enfin terminée, que l’on pouvait passer à autre chose… Une semaine pour que les gens présents dans ces moments-là prennent une place particulière dans ma vie.

Une semaine pour lui dire au revoir.

 

Vincent, papa de Pierre, né et décédé le 27 septembre 2005